10 clés pour dégenrer son éducation

L’audio est là !

Il y a quelques temps, j’ai posté des exemples de discussions que nous pouvions avoir avec Bout’Chou sur le genre, notamment en cas de situation de mégenrage, nos checks de genre, ou encore quelques éléments de définition. C’était riche pour moi de mettre par écrit ce qu’on a construit ensemble depuis bientôt 5 ans. Alors dans la même lignée, je me suis dit que cela pourrait être au moins aussi riche d’écrire sur ce qu’on a déconstruit puis reconstruit plus globalement pour dégenrer notre éducation. Surement que dans 5 ans, tout cela sera bien différent !

Pour un aspect relativement pédagogique, j’ai regroupé 10 clés en 3 groupes « Observer », « Devenir », et « Être ». Même si toute déconstruction est progressive, se faisant donc par étapes, il n’est pas question ici de niveaux. Comme d’habitude, je n’ambitionne pas l’exhaustivité, je partage mes réflexions sur la réappropriation de ce qu’on nous a enlevé… N’hésitez pas à venir compléter !

Observer

[Voir et être vu·e] Dans notre monde fait par et pour les personnes voyantes, la vue est le plus souvent le premier sens qui intervient lorsqu’on rencontre une personne. Dès le 5ème mois au sein d’un utérus, en apercevant un organe sexuel externe, pénis ou vulve, on assigne un genre et de là… la construction genrée commence !

(1) Les couleurs

« Tu n’aurais pas pu l’habiller toute sa vie en jaune et blanc » m’avait dit une collègue quand j’ai appris le sexe de Bout’Chou… Évidemment que non, étant donné que j’avais déjà prévu du bleu, du rose, du jaune, du vert !

Cette vision binaire du rose et du bleu est non seulement une construction occidentale – le rose n’est pas dévirilisant dans de nombreuses cultures, mais même pour l’Occident, c’est une construction moderne. Au Moyen-Age, le rose est une déclinaison du rouge viril, alors que le bleu est considéré comme féminin en référence au bleu de la Vierge Marie. Et surtout tous les enfants sont en blanc, symbole d’innocence et parce que la natalité est bien plus importante à l’époque et les couleurs sur les textiles coutent cher !! Bref, le vert n’est pas plus neutre que les autres couleurs, car les couleurs n’ont pas de genre !

(2) Les cheveux

« T’as pensé aux poux ? » Parce que bon, les gens ont accepté mes fantasies avec Bout’Chou avant l’école mais maintenant, il va falloir s’endurcir un peu, les enfants vont se moquer de lui… Mais ce ne sont pas des fantaisies, allez demander à Bout’Chou de couper ses cheveux et vous verrez. Et pourtant, les autres enfants ne le ratent pas !

Partout et de tout temps (cette phrase commence mal…), les êtres humains ont porté des cheveux longs (ah ça va mieux) : personnes femmes, hommes ou non binaires, nobles, bourgeoises, paysannes ou ouvrières, combattantes, pacificatrices ou guerrières, qu’iels soient d’Europe, d’Asie, d’Afrique, d’Amérique, d’Océanie originaires…

Pour prendre un exemple relativement futile mais riche de sens sur les représentations, dans le long métrage d’animation Mulan de Disney, Mulan se coupe les cheveux pour « se faire passer » pour un homme et être enrôlé comme soldat. Mais c’est un non sens puisque les hommes Chinois ont depuis longtemps porté les cheveux longs sans que cela remette en question leur masculinité. Mais quelques siècles de colonisation et PAAF ! Pourtant, les cheveux n’ont pas de genre.

La réflexion est relativement similaire pour les poils de nos corps. La généralement plus faible pilosité des hommes est-asiatiques a été un outil supplémentaire pour les déviriliser pendant la colonisation, le poil devant être masculin et surtout pas féminin. Mais les poils n’ont pas de genre.

(3) Les Vêtements

Je pourrai mettre tous les vêtements, mêmes les plus masculins et bleus possibles à Bout’Chou, il est depuis toujours pris pour une fille. Avant le marketing genré, les bébés portaient des robes blanches pour faciliter le changement de couches. Le taux de natalité était également bien plus élevé et il n’était pas possible d’acheter de nouveaux vêtements, a fortiori des vêtements genrés. Mais depuis les enseignes, notamment de prêt-à-porter, mais ceci est valable pour le maquillage, les bijoux et tout autre type d’accessoires, ont bien compris que séparer les rayons en deux rapportaient bien plus !

Je vous ai invité à compléter mais si c’est pour par exemple dire que les personnes trans renforcent les stéréotypes de genre en accentuant pour certaines une expression de genre conforme aux attendus binaires, je dirai que 1- tout le monde a le choix de son expression de genre sans que personne n’ait quelque chose à dire, et 2- c’est bien la société et le système patriarcal transphobe qu’il convient de combattre. Parce que porter une jupe lorsqu’on est une femme cis n’a pas du tout les mêmes enjeux sociaux et politiques que porter une jupe lorsqu’on est une femme trans.

Tout comme je ne crois pas en la neutralité, je ne crois pas aux vêtements unisexes ou mixtes puisque les vêtements comme tout type d’accessoires n’ont pas de genre, ce qui n’empêche en rien de porter une attention particulière à l’appropriation culturelle et au racial fishing bien évidemment…

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Devenir

[Grandir et devenir] Notre rôle global de parents c’est surement d’accompagner nos enfants dans leur croissance physique, psychologique, sociale, émotionnelle, pour qu’iels deviennent des adultes épanoui·es, en accord avec elleux-mêmes. Cela fait surement un peu « gnan gnan » et il y aurait beaucoup plus de choses à dire sur nos projections de parents… Mais pour les accompagner dans ce « devenir », il y a plein d’éléments qui peuvent être dégenrés.

(4) Les jeux et jouets

J’ai envie de copier / coller la partie sur les vêtements en changeant avec les termes « jeux et jouets ». Le marketing genré suit évidemment le même principe capitaliste et sexiste. A titre personnel, je n’ai jamais acheté une voiture parce que parmi les cadeaux offerts depuis la naissance, nous avons majoritairement reçu des jeux considérés de garçons. « Il lui faut bien un beau camion à ce petit bonhomme » ! Alors pour compenser j’ai complété avec des jeux considérés de filles. Parce qu’on est bien d’accord, la neutralité, la mixité, l’unisexe n’existent pas non plus dans les jouets !

Il y a cette espèce d’infographie qui traine sur internet depuis des années qui explique globalement que si un jouet se joue avec un pénis ou une vulve, ce n’est pas un jouet pour enfant, mais qu’un jouet qui ne se joue pas avec un organe sexuel externe, est finalement pour les filles ET pour les garçons. Je comprends le principe mais il vient de nouveau affirmer que sexe et genre seraient liés alors que ce n’est pas le cas, mais on y reviendra…

Les déguisements sont de bons sujets de discussion aussi ! Même si cela peut-être une entrée pour expérimenter son expression de genre quand on est enfant, il faut garder en tête que pour certain·es enfants, une robe n’est pas un déguisement mais une véritable manière d’exprimer son genre. Et quand on parle déguisement, je suis dans l’obligation de faire un point d’alerte sur l’appropriation culturelle… Bref, les jeux, les jouets ou encore les déguisements n’ont pas de genre.

(5) Les compétences

Dès la naissance, les bébés assignés garçons sont perçus comme costauds, curieux, futurs briseurs de cœurs, puis s’ajoutent les besoins d’aventure, de mouvements, d’expression plutôt de type cris. De l’autre côté de la binarité, les bébés assignées filles sont perçues comme mignonnes, délicates, charmeuses de papas et tontons, puis s’ajoutent les besoins de calme, de ménage avec maman, d’expression cette fois-ci plus parlée et posée.

On couple ça avec des jeux, des jouets et une cours de récréation ultra genrée également, et PAAF, petit à petit certaines zones du cerveau ne sont pas travaillées. Au bout, les assignés garçons finissent par être plus sportifs, avec un meilleur sens de l’orientation – et les assignées filles finissent plus attentionnées, avec une charge mentale liées à cette fonction care.

Tout comme la taille et le poids de notre cerveau ne sert plus à démontrer le niveau d’intelligence, les travaux de la neurobiologiste Catherine Vidal démontrent que notre plasticité cérébrale – ce qui nous permet d’apprendre grosso modo – semble en réalité la même à la naissance et que c’est uniquement la manière dont elle est stimulée qui induit ensuite les différences entre filles et garçons, et que celles-ci ne sont pas naturelles mais bien construites. Aussi, même s’il est important de reconnaitre que les êtres humains ne naissent pas libres et égaux en accès aux savoirs et au développement des compétences pour plein de raisons oppressives, notamment racistes, sexistes, validistes et classistes, les compétences n’ont pas de genre.

(6) Les émotions

Le classique reste « un garçon, ça ne pleure pas« … mais si on analyse rapidement, les garçons n’ont rien le droit de ressentir si ce n’est de la colère, parce que c’est ça être un homme viril.

MAIS attention faut savoir doser, parce que les hommes racisés, ils ne savent pas doser – trop de colère pour les afrodescendants, les nord-africains, les arabes donc perçus comme dangereux par nature, et pas assez de colère pour les asiodescendants perçus comme inoffensifs et malléables… Les femmes racisées non plus ne savent pas doser – les afrodescendantes, les nord-africaines, les arabes exagèrent toujours, et les asiodescendantes de toute façon, ce n’est pas qu’on ne sait pas lire leurs émotions, c’est qu’elles n’en ont pas. Comme ça, c’est pratique, dès la pré-adolescence, les enfants racisé·es ne sont plus des enfants, même si toute leur vie, iels seront infantilisé·es.

Évidemment tout cela n’a rien de naturel et il convient de véritablement accueillir toutes les émotions de nos enfants, quel que soit leur genre, car les émotions n’ont pas de genre.

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être

[Être ou ne pas être] J’aborde ici une partie souvent plus complexe à comprendre quand on est cisgenre, a fortiori hétérosexuel·le, c’est-à-dire quand on est la norme de cette société cis-hétéronormée. Il en va au-delà des manières d’exprimer son genre à travers des couleurs, des vêtements, des activités ; il en va d’identités tellement invisibilisées, effacées, qu’il faut cacher pour sa sécurité, qu’elles doivent aujourd’hui exister avec fierté.

(7) Les caractéristiques sexuelles

Les caractéristiques sexuelles considérées typiques mâles sont les chromosomes XY, les organes génitaux internes et externes dont pénis et testicules, les hormones dont la testostérone… Les caractéristiques sexuelles considérées typiques femelles sont les chromosomes XX, les organes génitaux internes et externes dont vulve et utérus, les hormones dont la progestérone et les œstrogènes…

Ces caractéristiques sexuelles ne définissent pas un genre mais bien un sexe qui est en soi un spectre. Ainsi les personnes qui ont des caractéristiques sexuelles considérées comme typiques sont dyadiques. Les personnes intersexes, terme parapluie, sont toutes les personnes sur un spectre de caractéristiques sexuelles considérées comme non typiques. Pour ne prendre que les exemples des chromosomes, le dernier ouvrage de l’historienne Blair Imani chiffre 4 combinaisons relativement courantes après XX et XY : X (1 pour 2 à 5000 personnes), XYY (1 pour 1000 personnes), XXXY (1 pour 18 à 50000 personnes), XXY (1 pour 500 à 1000 personnes).

La détermination du sexe et l’assignation du genre qui en découle automatiquement dans notre société ne prennent pas leur source dans la science mais dans des dynamiques de pouvoirs qui maintiennent les variations de nos corps comme des anomalies ou des pathologies à guérir. Les personnes trans ne sont donc pas nées dans le mauvais corps mais plutôt dans une société oppressive mêlant injonction à la binarité et transphobie. Les caractéristiques sexuelles, et tout ce qui est de l’ordre corporel (menstruations, morphologies, organes…), n’ont pas de genre.

(8) Les Pronoms

Je genre Bout’Chou au masculin car c’est son assignation à la naissance et que socialement, scolairement, toute autre identité de genre ne serait pas reconnue. Je le crois pleinement lorsqu’à 2 ans, il m’a dit être un peu les deux, tout comme je l’aurais cru et le croirai le jour où il me dira autre chose. Pour le moment les pronoms et les accords ne sont pas un sujet mais le jour où ce sera le cas, si un jour c’est le cas, je le suivrai. On est qui on est, quel que soit le ou les pronoms choisis pour refléter son identité de genre.

Je sais que j’ai encore énormément de réflexes extrêmement binaires, de base parce que j’ai grandi dans une société systémiquement binaire et que le code-switching entre le monde notamment professionnel mais aussi familial, et ce que j’aimerais pouvoir dire tous les jours en accord avec mes convictions, ce switch est compliqué – de la même manière que malgré tout ce que je peux dire au boulot, passant déjà pour une militante reloue, est largement moins radical que ce que je peux dire ici. Déjà qu’un « elle » suivant mon prénom sur une réunion d’équipe en visio zoom a pris un quart d’heure à expliquer… Bref, les pronoms et les accords ne peuvent pas être devinés juste à l’expression de genre car ils n’ont pas de genre.

Dans la même logique, les prénoms font partie intégrante d’une identité et doivent pouvoir être choisis pour refléter qui une personne est. C’est ce qu’on fait d’ailleurs en tant que parent quand on choisit un prénom, qu’on y passe du temps, qu’on le chérit et qu’on y lie des projections. Mais se tromper, y compris sur un prénom, fait partie du job de parents, aussi dur que cela puisse être…

(9) Les orientations sexuelles

« Tu vas en faire un p*** » m’avait-on alerté en toute bienveillance… Parce que derrière la question du genre, même binaire, il y a bien évidemment, à peine caché, le patriarcat et sa hiérarchisation des genres : le masculin l’emporte sur le féminin. Et tout ce qui sort du schéma de la masculinité toxique, ultra viriliste, devient donc féminin et de moindre valeur.

Je m’égare, sans que ce soit vraiment le cas, car tout est lié dans la compréhension de ce qu’est le genre. Les orientations sexuelles ou romantiques ou asexuelles ou aromantiques, sont autant de spectres comme le sont les identités de genre. Ces deux pans de l’identité / des identités d’une personne sont totalement indépendants les uns des autres, car les orientations sexuelles n’ont pas de genre !

(10) Les parentalités

Être parent ce n’est pas selon moi uniquement être un père ou une mère, ou plus largement la famille nucléaire telle qu’on nous la vend comme si naturelle. Être parent c’est avoir ce rôle parental et on peut être parent en tant que tata, tonton, ami·e proche… Faire famille est à déconstruire et je dirais même décoloniser, même si je ne supporte plus l’expression « il faut tout un village pour élever un enfant » tellement elle a été galvaudée.

Être mère, c’est néanmoins un poids, un enjeu, une responsabilité, une culpabilité particulière dans notre société actuelle et donc un positionnement politique. Aussi par voie de conséquence, les parentalités trans sont toutes touchées, hommes trans avec un utérus ayant porté la vie, ou femmes trans reconnues (ou pas…) dans leur statut de mère…

Et malgré tout cela, être parent, être mère, ou quel que soit le terme utilisé, les parentalités n’ont pas de genre !

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L’idéal serait surement de ne plus avoir d’assignation à la naissance, mais je crois que malheureusement la société n’est pas prête. Ce serait un poids vraiment très lourd à porter pour un·e enfant (et ses parents qui par définition seront malveillant·es) et une mise en danger constante pour l’ensemble de la famille, a fortiori si on tient compte des autres systèmes notamment race et classe. C’est une des raisons pour lesquelles je ne veux plus d’enfants.

Pour autant, en attendant cet idéal, je pense sincèrement que dégenrer notre éducation ne peut être que positif. Wow, ça c’est du scoop ! Plus sérieusement, si nos enfants confirment leur assignation, iels auront pu bénéficier d’une éducation ouvertement en lutte contre le patriarcat, la misogynie et les LGBTQphobies systémiques. S’il s’avère que l’assignation était une erreur, cette éducation fera vraiment toute la différence pour accueillir ensemble leurs identités, notamment de genre. Enfin, s’il n’y avait qu’une clé pour les gouverner toutes, ce serait celle de la communication et de la verbalisation, celle des questions libres et du droit de répondre « je ne sais pas », « je ne sais pas encore », « on va trouver ensemble », mais surtout de l’importance de dire « je te vois, je te crois et je t’aime »…

J’aimerais finir sur une citation d’Alok Vaid-Menon, « gender is not what people look like to other people; it is what we know ourselves to be ». Pour tenter de traduire au plus près : « le genre n’est pas ce que les personnes perçoivent des autres personnes ; c’est ce que nous savons nous-mêmes de notre être ».

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