Comme tou·te trentenaire, j’ai grandi avec une faible représentation asiatique littéraire, audiovisuelle, ou encore politique… J’ai dû me construire à travers une représentation minime mais surtout biaisée, celle d’un système raciste et soi-disant post-colonial mais qui a finalement gardé tous les codes de ces temps coloniaux.
De Tintin à Chen
Petite taille, teint jaune, incisives proéminentes, yeux en traits, longue tresse ou coupe au bol pour les garçons, chignons – double de préférence – pour les filles, en habits apparemment traditionnels… Telle est la représentation physique générale des Asiatiques dans les albums avec lesquels j’ai grandi. Je pourrais d’ailleurs remplacer « Asiatiques » par Chinois et Japonais exclusivement, les autres pays étant complètement amalgamés par ces deux géants.
La mention du pays d’origine est toujours lointaine, mystérieuse, impénétrable… Parfois il est précisé Chine ou Japon, mais très souvent, les amalgames finissent par créer un pays imaginaire d’ « ambiance asiatique ». Les discours en proverbes ou métaphores renforcent l’exotisme des personnages.
Les récits sont majoritairement (pour ne pas dire exclusivement) contés avec un « white gaze », un point de vue blanc, je dirai même plus le point de vue colonisateur. Qui agresse qui quand le capitaine Haddock bouscule un travailleur, s’énerve contre lui en utilisant les termes « vous autres » comme si nous étions tou·tes semblables ? C’est extrêment déshumanisant… Et pourtant, lorsqu’il y a du répondant, « en langue incompréhensible » non traduite, l’agresseur et la victime s’inversent. Lorsqu’il est plus calme, l’étranger parle alors français, mais bien évidemment un mauvais français…


Beaucoup plus insidieusement, le racisme s’étend en dénonçant un racisme plus « visible ». Cela laisse croire qu’à l’inverse, ce qui est écrit et illustré par ailleurs est parfaitement correct. Tintin grimé en « Chinois » trompe si facilement ces imbéciles sauvages mais lui n’est pas un diable blanc ! Ce sont toujours les autres, les méchants, qui utilisent des insultes racistes !
Alors Tintin, c’est connu me direz-vous, d’un autre temps… Mais quid de Chen alors ? Car oui, Chen avait un teint très jaune à son arrivée en France (sa carnation s’éclaircit par la suite…). Et oui, la BD marque en gras ce L majuscule à la place des R qu’elle n’arrive pas à prononcer…

A la suite des moqueries de son arrivée, Chen est montrée blessée et dans une colère impressionnante, caractéristiques de son caractère doux et discret mais explosif. Là encore, les enfants s’excusent et on finit par penser que tout va pour le mieux, qu’ils font preuve de « tolérance » et que ce n’est plus raciste. Mais Chen, elle, ne prononce toujours par les R, et ça se voit bien…

Celle qui m’a malgré tout sauvée, c’est Yoko Tsuno, scientifique bad ass, bien que sa fille adoptive Rosée du matin soit très jaune… D’ailleurs, les traductions de prénoms pour faire « plus exotique, plus oriental », vous pouvez éviter.
Aujourd’hui, toujours les mêmes stéréotypes racistes ?
Vous me dites que cela date toujours ? Oui, mais ces livres sont toujours disponibles en bibliothèques ou à l’achat. Les adaptations animées sont également toujours diffusées. Et surtout, même si moi j’ai arrêté de lire de la littérature jeunesse un temps, les publications ne se sont pas arrêtées ! Voici quelques exemples non exhautifs.
En 2009, Dans la cour de mon école de Sylvain Victor chez Thierry Magnier présente, via le regard de deux enfants, Jing, qui accumule à elle seule un bon nombre de clichés… Se cacher derrière des mots d’enfants n’empêche pas le racisme. Bien évidemment, les enfants ne naissent pas racistes, mais tous leurs mots viennent de quelque part… Nous savons que dès 2 ans les enfants ont intégré les différents systèmes de domination, c’est le principe même d’un système !
En 2011, Le carnet secret de Lili Lampion de Amanda Sthers chez Nathan est un ramassis d’horreurs. Il faut aussi savoir que Lili Lampion a été adaptée en comédie musicale… avec un super yellow face !! Comment faire autrement avec un tel texte ? Bref, tout y est : la taille, la couleur, l’accent, la nourriture, les insultes… Et big up à Couscous ! Sans que cela soit étonnant, le refus de reconnaissance par l’autrice est vraiment à vomir. Qui se victimise ?
En 2014, Fleur, la camarade de classe du petit Oscar dans Pomme d’api, a des yeux en traits. Que dire si ce n’est la paresse des illustrateurices qui traduisent leur manque de respect ?
En 2020, Bienvenue à l’école Aimé de Anne Isabelle Le Touzé chez Ecole des loisirs, publie sans scrupule un enfant asiatique de couleur jaune sol… Bon ce n’est pas le seul problème du livre mais c’est une autre histoire.
Pour les carnets de vacances 2020, Hachette éducation fait la promotion de ces livres d’enquêtes avec l’Inspecteur Petit et son acolyte le Sergent Chan San Peur (avec l’accent svp!). On checke ensemble ? liste non exhaustive
Eléments physiques racistes : | Eléments racistes personnage : |
[ ] Petite taille [ ] Teint jaune [ ] Dents proéminentes [X] Yeux en traits / dits bridés [X] Longue tresse / coupe au bol / chignon [X] Habits « traditionnels » / chapeau « chinois » | [X] Nom « asiatique »/ jeu de mots [ ] Mauvais français / accent [ ] Langue « incompréhensible » [X] Ecriture « chinoise » [X] Attitude discrète [X] Maîtrise art martial [ ] Pays imaginaire « ambiance asiatique » [ ] Nourriture « étrange » / chien – chat [ ] Insultes « face de citron », « bol de riz » |
Nous ne sommes pas une case à cocher
Globalement, les Asiatiques ne sont que très rarement les personnages principaux des histoires de nos enfants. Au mieux « sidekick », compagnon·nes voire faire-valoir, les personnages n’ont que rarement une place et une histoire travaillées. On parle de « token minority », littéralement « minorité symbolique », pour cocher des cases, sans se poser la question réelle de ce que cela implique. On assiste donc à une diversité complètement artificielle qui perpétue les stéréotypes racistes, ou a tendance à nier l’existence même du racisme.
Quand je parle de diversification de votre bibliothèque, je vous dis régulièrement de compter les personnages principaux, mais aussi de voir dans quelle posture ils sont et qu’est-ce qu’ils transmettent. Il est également important de lire les voix des personnes concernées qui, par définition, sauront mieux que personne communiquer leur réalité. Pour autant, attention, être concerné·e n’est pas un totem d’immunité, notamment face au racisme. Déconstruire tous les stéréotypes martelés depuis plusieurs centaines d’années demande beaucoup de travail !
Pour des représentations justes
Heureusement, les choses changent et progressivement les Asiatiques prennent leur place, se racontent et racontent leurs histoires. Les représentations changent et c’est pour le mieux. Lorsque vous décidez de parler, décrire, illustrer des personnages asiatiques, renseignez-vous ! Objectif : corriger et mettre fin aux stéréotypes et clichés des représentations uniques, exotiques, fantasmées, racistes et coloniales. L’Asie est composée de 47 pays, vous y trouverez une très grande diversité culturelle et physique !!
Les représentations comptent, les représentations justes comptent. Elles permettent de contribuer à une belle estime de soi, de trouver ses identités et d’en être fier·e. Quoi de mieux pour se construire que la confiance et la fierté d’être soi et personne d’autre ? J’aimerais vraiment par ce billet vous inviter à lire, mais aussi écrire si vous êtes une personne concernée, éditer, publier, vendre des livres avec des représentations justes qui font du bien à nos enfants et à nous. Nous pouvons faire mieux que ça :
3 commentaires sur “Pour une représentation juste de nos enfants !”