Toujours sur les pistes de réflexions sur la parentalité décoloniale, on va enfin pouvoir aborder les actions au niveau de notre famille, de notre foyer, et de nos enfants !
- Soigner nos traumas
- Nous éduquer avant d’éduquer
- Sortir de la parentalité blanche universelle
- Reconnaître nos propres dynamiques oppressantes
(5) Affirmer des représentations justes
Que vous soyez ici depuis peu ou depuis un bon moment, rien d’étonnant à cette phrase que je répète régulièrement et qui mérite d’être martelée encore et encore. Grandir sans se voir représenté·e est aliénant. Grandir en se voyant représenté·e à travers un imaginaire supposé, fabriqué, caricatural, plein de stéréotypes et de préjugés notamment sexistes, classistes, racistes et coloniaux par des personnes qui ne nous ressemblent pas et qui ne peuvent pas se mettre à notre place, est aliénant. Nous cantonner à des objets, des fruits, des animaux pour affirmer qu’ainsi tout le monde peut se sentir représenté, est aliénant. Cela nous prive littéralement de notre humanité.
- Quand j’entends qu’il y a de la diversité en littérature jeunesse grâce à des auteurices qui travaillent sur la représentation au quotidien des enfants noir·es, par exemple sur… l’esclavage ! écrites bien sur par des auteurices blanc·hes ;
- Quand je vois des illustrations qui continuent de perpétuer des stéréotypes sexistes, racistes, coloniaux, sans jamais vraiment nous regarder ;
- Quand je lis des traductions d’autrices racisées par des hommes blancs et qu’ils osent faire dire à des personnages déconstruits, et notamment une adolescente portant un hijab « la queue entre les jambes » ou le « n-word » ;
- Quand des auteurices non concerné·es continuent d’écrire sur des sujets qu’iels ne maitrisent pas sans se poser de questions sur leur point de vue ni renvoyer à des ressources qui pourraient accompagner le lectorat…
C’est déshumanisant, offensant et humiliant.
Nous nous construisons comme l’autre, cellui dont les ascendant·es semblent n’avoir rien accompli, rien créé, avoir seulement été mis·es à disposition pour servir la norme. Nous nous construisons comme cellui qui a besoin d’être sauvé·e, pour qui on parle, et à la rigueur, à qui on donne la parole, car incapable de gérer seul·e…
Les représentations ne doivent pas s’arrêter aux personnages auxquels pourraient s’identifier nos enfants. Elles doivent pouvoir présenter des rôles modèles dans lesquels nos enfants pourront se rêver. Ce que j’appelle régulièrement des personnages d’autorité (enseignant·es, docteur·es, scientifiques,…) doivent aussi imprégner non seulement les supports proposés aux enfants mais aussi la réalité !
Bref, vous l’aurez compris, affirmer des représentations justes est plus qu’essentiel. Que ce soit via les livres, les dessins animés, les jeux, les médias, les activités que nous proposons à nos enfants… Oui je sais, ce n’est pas évident mais les représentations justes comptent tellement. Pour autant, il ne s’agit pas de supprimer automatiquement tout support dès qu’il présente un problème. Il est important de pouvoir discuter de ces problèmes de représentations, de poser des questions sur ce que nos enfants pensent de ces représentations – descriptions – illustrations, d’expliquer ce qui ne va pas concrètement, de peut-être proposer des alternatives…
La représentation n’est pas une fin en soi, mais dès le plus jeune âge, elle permet d’assoir une légitimité que nous n’avons pas eue et d’entrainer leur esprit critique, pour que nos enfants aient suffisamment de confiance pour porter leur voix.

(6) Discuter avec nos enfants
« Dis-moi, comment on fait les bébés ? » Cette question, aussi commune soit-elle, semble toujours surprendre et gêner les parents. Pourtant, nous savons qu’elle va être posée, qu’il convient de s’y préparer, que les enfants attendent des réponses claires. Pourquoi alors ne pas construire des bouts de réponses ? Car une fois que nos enfants nous auront posé cette question fatidique, il sera trop tard. Notre gêne aura été ressentie, nos balbutiements auront été entendus, et nos enfants auront compris que la sexualité est un sujet au mieux gênant, au pire tabou, et donc dans tous les cas, à éviter. Nous savons pourtant à quel point certains sujets doivent être abordés très tôt, rien que le consentement…
Le sexisme, le racisme, le classisme, l’intersectionnalité entre les différents systèmes d’oppression, c’est pareil. Nous savons que les questions vont arriver et qu’elles seront surement difficiles et complexes à répondre, à l’image des questions sur la sexualité. Nous serons plus mal à l’aise que nos enfants, dont la curiosité et l’envie d’apprendre auprès de nous sont plus que saines. Face à cette gêne ou à l’absence de réponse, nous savons que nos enfants risquent de ne pas revenir vers nous, de se tourner plutôt vers leurs camarades ou vers internet, et que nous aurons perdu une chance d’aborder sereinement un sujet d’une importance vitale.
Discuter avec nos enfants, trouver les mots justes, c’est souvent l’étape que nous repoussons le plus, celle qui réveille aussi ce qui n’a pas été réglé, celle qui nous brise leur cœur de devoir leur montrer l’horreur du monde, celle qui tend à faire reposer sur leurs épaules le changement.
Mais la réalité c’est que nos enfants ont déjà ressenti, vécu, subi les systèmes d’oppression sans forcément que nous nous en rendions compte, sans qu’iels puissent mettre des mots dessus, sans qu’iels n’aient pu l’exprimer, seulement l’intégrer à leur construction. La normativité blanche, cis, hétérosexuelle, valide, neurotypique, mince, riche qui empreint notre société les a déjà renvoyé·es à leurs différences.
Racky Ka-Sy, psychologue et docteure en psychologie sociale, est l’autrice d’une thèse sur les effets de la menace du stéréotype. Elle y explique notamment que les enfants sont conscient·es très jeunes des stéréotypes qui pèsent sur leurs groupes sociaux et qu’à l’image de ce qu’iels ont pu imprégner depuis leur naissance, acquièrent très jeunes la capacité de discriminer. Iels se construisent soit en correspondance avec les stéréotypes intégrés – ce qu’on attend d’elleux – soit en contradiction, mais tout de même en fonction de ces stéréotypes et des préjugés qu’iels subissent. Dans son étude, qu’elle détaille dans un épisode dédié du super podcast Les enfants du bruit et de l’odeur, Racky Ka-Sy démontre les préjugés dont peuvent faire preuve (sans surprise) les enseignant·es sur la base de quelques illustrations d’élèves, suivant leur couleur de peau ou leur lieu d’habitation. Elle conclut sur l’importance des rôles modèles qui peuvent par leur présence véritablement changer les perceptions qu’ont les enfants minorisé·es d’elleux-mêmes.

Se préparer ne signifie pas avoir toutes les réponses, c’est impossible. C’est quelque chose que j’ai appris dès le premier jour de ma maternité… Mais se préparer, c’est anticiper : utiliser tous les supports au quotidien, proposer des sujets, avoir des premiers éléments de réponse, accepter de ne pas savoir également – de tâtonner et d’expliquer pourquoi – et peut-être de chercher ensemble davantage de réponses. C’est surtout être capable d’ouvrir le dialogue car une seule conversation ne suffira pas… Quant à l’objection de l’âge, je dirai que 1- tous les parents d’enfants perçus et considérés comme « les autres » n’ont pas le choix et que, 2- de nombreux parents transmettent et attribuent à leurs enfants dès le plus jeune âge, des concepts très abstraits comme la gentillesse, la politesse, la manipulation, le mensonge… Leur cerveau saura s’adapter aux questions liées au racisme, au sexisme, au classisme.
Il n’est pas question de leur parler de manière brutale de massacres dès leur naissance, mais de saisir toutes les opportunités pour potentiellement transmettre nos cultures et nos langues, expliquer pourquoi certains termes ne sont pas à utiliser ou certaines chansons à ne pas chanter, présenter d’autres points de vue ou des supports corrigés, montrer autrement nos pays que comme la misère du monde… Tout est à construire et surtout à adapter à nos enfants.
Discuter avec nos enfants, c’est les écouter, les soutenir, les valider, les prévenir, les armer pour :
- Bâtir leur confiance, leur affirmer leur pouvoir, leur assurer de leur valeur, sans que quelqu’un d’autre ne le fasse à notre place ;
- Leur offrir toutes les possibilités de choisir leurs propres identités, découvrir leur vrai elleux ;
- Développer leur esprit critique, non pas en leur présentant un tableau soit idéalisé, soit catastrophique, mais en leur apprenant à décrypter ce qu’iels voient et verront ;
- Les considérer comme des individus légitimes et à leur place, alors qu’iels seront infantilisé·es ou suradultisé·es dans toutes les situations qui arrangeront la société.
Quelques ressources pour aller plus loin :
- Les enfants du bruit et de l’odeur, la librairie et le podcast
- Association Diveka sur instagram ou twitter
- Laura Nsafou, dans Kiffe ta race ou sur son blog
- Rokhaya Diallo, Comment parler du racisme aux enfants, 2013
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