觀音 Guānyīn / Gun1jam1, déesse trans

Ceci est la retranscription d’un post instagram publié à l’occasion du nouvel an lunaire de la seconde lune après le solstice d’hiver (non non je ne suis pas en retard du tout…). Bonne idée à l’occasion du mois des fiertés.

***

J’ai grandi avec la déesse 觀音 Guānyīn / Gun1jam1 sur l’autel de ma grand-mère, et j’apprends seulement aujourd’hui à la connaitre…

Déesse de la compassion, plus que populaire en Chine et dans tout l’est de l’Asie, Gunjam est l’incarnation de Avalokiteśvara, bodhisattva représenté en Inde sous des traits masculins. Cela signifie qu’elle aurait pu accéder à l’ascension et devenir bouddha mais qu’elle choisit de rester, incarnée en femme, avec les êtres humains pour leur faire bénéficier de ses enseignements.

Dans la quasi totalité de mes lectures, il n’est jamais question de transidentité… Pour les sinologues, majoritairement hommes cis, majoritairement blancs, il semblerait plus évident de mettre en avant le lien entre la compassion de la déesse et sa féminité.

Le changement de perception pourrait également s’expliquer par le besoin de rassurer les hommes dont les femmes priaient des nuits entières dans un temple pour que la déesse leur apporte un enfant : rassurer ces hommes que leur femme n’avaient pas une liaison avec un dieu homme.

Ces explications, soit-disant factuelles, font de la transition de Gunjam une simple évolution de la perception, une anedocte, presque finalement quelque chose de logique car sexe et genre n’auraient soit-disant plus d’importance, enfin seulement quand ça arrange…

Cela peut vous paraitre étrange – ou pas – mais outre la libération d’une déesse trans et son choix de vivre, plus j’y pense et plus je crois qu’elle me regarde depuis toujours depuis l’autel de ma grand-mère.

Quel que soit son nom à travers les différents pays d’Asie de l’Est, quelle que soit la forme féminine, masculine, non binaire qu’elle choisit d’incarner, Gunjam œuvre avec compassion, selon son sens de la justice même s’il ne correspond pas forcément à celui du monde humain.

Elle est aujourd’hui une figure et un symbole queer de compassion, de protection des femmes et personnes minorisées par leur genre, et de lutte contre l’hétérosexualité pour laisser place à une spiritualité perdue à cause du patriarcat et son culte de la masculinité toxique…

D’autres divinités sont également concernées par la transidentité

et pas n’importe lesquelles… Par exemple :

后土 Hòutǔ / Hau6 tou2 est l’Impérateurice de la Terre ou encore la Terre Mère 地母 Dimǔ / Dei6 mou5 et en fonction des époques, iel a pu être genré·e au féminin comme au masculin.

太白星 Tàibáixīng / Taai3 baak6 sing1 est le fils de l’Empereur céleste Bai. Pour autant, dans les descriptions taoïstes, iel est une déesse. A partir des Ming, iel est envoyé par l’Empereur de Jade sous les traits d’un vieillard qui apporte la paix. C’est enfin le nom donné à la planète Vénus qui fait partie intégrante du panthéon chinois.

à l’origine des êtres humains, Une cishétéronormativité très relative

Dans la mythologie de la création du monde, alors que 盤古 Pángǔ / Pun4 gu2, le créateur de l’univers, achevait son ouvrage d’organisation du chaos et de séparation du ciel et de la terre au bout de 18 000 années, 伏羲 Fúxī / Fuk6 hei1 et 女娃 Nǚwá / Neoi5 waa1 créèrent l’humanité.

D’après mes lectures, iels étaient respectivement un homme et une femme, un frère et une sœur. Iels sont néanmoins toustes deux représenté·es avec des bustes humains mais une queue de serpent.

Évidemment cela m’interroge car :

[1] Niveau gravure, j’ai déjà vu plus genré… On parle de deux bustes humains et de corps de serpent !

[2] D’ailleurs, vous vous y connaissez en reproduction des serpents ? Parce que j’ai fait mes recherches et outre les deux pénis et les deux clitoris, certaines espèces sont capables de parthéonogénèse #elleafaitunbébétouteseule et donc les femelles n’ont même pas besoin d’un mâle pour procréer #mamansolo.

[3] D’ailleurs n°2, Neoi waa va finalement faire ses enfants seule à partir de la glaise d’un étang #pmapourtoustes. A elleux, elle transmettra la possibilité de procréer pour qu’iels puissent se développer.

C’est soit ça, soit un viol incestueux…

Des empereurs ouvertement queer

Il n’y a pas que le panthéon qui est queer ! Dans Mémoires du grand historien, Sīmǎ Qiān mentionne par exemple 10 empereurs de la dynastie Han a avoir ouvertement des hommes comme amants, et la bisexualité est, si ce n’est la norme, finalement très courante.

C’est notamment le cas de 漢武帝 Hàn Wǔdì / Hon3 mou5 dai3 sous lequel vit Sīmǎ Qiān. Septième empereur de la dynastie Han, il règnera pendant 54 ans, quasi un cycle sexagésimal, un record détenu pendant 1800 ans.

Hàn Aidì n’a lui régné que 6 ans mais sa relation avec Dong Xian est à l’origine de l’histoire de « la passion de la manche coupée », devenue une expression référence pour l’homosexualité.

de la honte à l’illégalité et vice-versa

Les « explorateurs occidentaux », empreints du puritanisme chrétien, ont pu écrire à propos de leurs voyages en Chine qu’ils étaient choqués par les abominations auquelles les Chinois pouvaient s’abandonner (Friar Gaspar da Cruz, Treatise of China, XVIè s.) ou que le plus grand des pêchés observé était la sodomie, un vice très commun (Galeote Pereira, Certain Reports of the Province of China, XVIè s.). La bisexualité n’était pas la norme qu’en Chine, mais également dans de nombreux pays notamment d’Asie qui célébraient la diversité des relations romantiques, des genres et des sexualités.

Dans la construction de la Chine, être queer n’est donc pas un crime. Ce n’est pas non plus ultra valorisé et la sexualité spécifiquement des femmes était plutôt un non-sujet d’ailleurs. Dans l’interprétation des visions traditionnelles taoïstes et surtout confucianistes, c’est une honte de ne pas pouvoir répondre aux attentes de faire famille. Mais être queer n’est pas contre les lois, y compris celles de la nature.

Avec l’expansion puis la main-mise de l’Occident sur l’Asie, et le reste du monde, la Chine se conforme au « modernisme », et criminalise l’homosexualité jusqu’en 1997 date de la légalisation (= dépénalisation de la sodomie, qui n’intervient qu’en 2003 aux États-Unis d’Amérique…) et 2001 date de retrait de la liste des maladies mentales. La première marche des fiertés a eu lieu en 2009.

post original

Principales ressources utilisées :

  • Chine: Mythes et dieux de la religion populaire, Jacques PIMPANEAU
  • La naissance du monde: Contes de la mythologie chinoise, Hsueh-Ling MURE
  • Mythologies et légendes Queer : Spiritualité et culture LGBT+ à travers le monde, Tomas PROWER
  • In Han Dynasty China, Bisexuality Was the Norm : https://daily.jstor.org/in-han-dynasty-china-bisexuality-was-the-norm/

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