… Mais c’est juste ! Et oui, on va enfin parler du bilan psychologique réalisé pour identifier un enfant à haut potentiel et plus particulièrement le bilan pour Bout’Chou.
histoire d’un test raciste, classiste, validiste
Et j’en passe ! Alors ce n’est pas ce que vous attendiez, on n’est bien d’accord, et je vais venir au pourquoi du comment mais il est important de replacer les fondements historiques d’un tel test auquel je ne crois pas et que je dois pourtant défendre dans le contexte et l’environnement dans lequel nous vivons.
Avec l’émergence de l’idéologie raciste et sa théorisation, tout est bon pour tenter de justifier scientifiquement la supériorité blanche. Naturalistes, anatomistes, physiciens, botanistes, tous y vont de leurs Lumières pour définir l’inné et essentialiser les races : cerveaux plus gros chez les personnes blanches, sous-développement des personnes racisées, anatomie animalisée pour expliquer certains comportements…
Paul Broca (1824-1880), considéré pionnier en médecine et fondateur de l’anthropologie, pose les bases dans son Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales (1876) : « En moyenne, la masse de l’encéphale est plus considérable chez l’adulte que chez le vieillard, chez l’homme que chez la femme, chez les hommes éminents que chez les hommes médiocres, et chez les races supérieures que chez les races inférieures. Toutes choses égales d’ailleurs, il y a un rapport remarquable entre le développement de l’intelligence et le volume du cerveau. »

Alphonse Bertillon (1853-1914), père de anthropologie judiciaire, développe une grille anthropologique d’identification et un répertoire visuel des caractéristiques morphologiques d’un·e criminel·le. Race, teint, caractère ethnique sont au cœur de l’anthropologie judiciaire qui essentialise les criminel·les, et leur donne un caractère criminel inné et donc repérable en prévention. Cesare Lombroso (L’Homme criminel,1876) s’appuie sur ces travaux pour décrire le « criminel-né » à travers l’étude de portraits photographiques de prisonniers… Ce qu’on appelle le « bertillonnage » va profondément ancré le regard policier dans cette anthropologie raciale et on constate tous les jours les conséquences catastrophiques encore aujourd’hui #délitdefaciès.
La génétique et l’eugénisme font également une arrivée fracassante pour justifier les hiérarchies raciales mais également classistes et validistes. Francis Galton (1822-1911) s’appuie sur les théories de son cousin Darwin pour défendre la sélection naturelle chez les êtres humains et ainsi défendre un programme de sélection artificielle pour produire une race humaine supérieure par un contrôle des mariages. Selon lui, il est urgent d’ « améliorer la race » car : « Nous vivons dans une sorte d’anarchie intellectuelle par manque d’esprits supérieurs. En règle générale, la capacité intellectuelle de nos dirigeants a besoin d’être élevée. Nous voulons des capitaines, des hommes d’État, des penseurs et des artistes plus compétents. » L’eugénisme est ainsi à l’origine de nombreuses politiques de stérilisation en Europe comme en Amérique du Nord sur les « faibles d’esprits », les criminel·les, les « races inférieures », les TDS, etc.
Si l’idée d’un test de mesure de l’intelligence est attribuée au psychologue allemand William Stern, la première échelle de mesure de l’intelligence est une fierté française avec le test de Alfred Binet (1857-1911) et Théodore Simon (1873-1961), respectivement psychologue et psychiatre. La commande de l’Etat visait à l’époque la mesure du développement de l’intelligence alors que l’instruction venait d’être rendue obligatoire en France. Mais le premier test est un outil de diagnostic de la « débilité mentale » en vue du recrutement des classes de perfectionnement pour « enfants anormaux », politique fraichement lancée… Par la suite, les usages se sont diversifiés : orienter la pédagogie, repérer les « anormaux militaires », etc.
Henry Goddard (1866-1957), psychologue américain, eugéniste et ségrégationniste, est le premier à traduire et développer aux EUA le test psychométrique Binet-Simon. Il le transpose auprès des écoles et des institutions accueillant « des débiles », puis aux émigrants dès 1913, et est le premier à en faire état devant une cour de justice en 1914. Les tests réalisés et leur aspect scientifique et statistique ont permis de donner une apparente légitimité au racisme, l’antisémitisme, le validisme, le classisme, et ainsi justifier les inégalités sociales, les violences policières et judiciaires, les internements, les stérilisations, les peines de mort, la ségrégation raciale…
Bref, je tenais à remettre un contexte historique important car je ne l’ai pas fait quand j’ai parlé d’hérédité du haut potentiel, et j’aurais dû déjà à ce moment-là. La question de l’hérédité ne se joue pas foncièrement sur la filiation directe mais les études sont historiquement liées à une hérédité anthropologique qui se fonde sur des théories racistes tentant de prouver l’infériorité par essence des personnes racisées.
Culture occidentale et esprit scolaire
Alors pourquoi ? J’ai très longtemps hésité, mais finalement j’ai naïvement cru que cela simplifierait les choses d’un point de vue scolaire pour obtenir des adaptations de ce mammouth normatif qu’est l’Education Nationale…
Alors oui, Bout’Chou m’a épatée, encore une fois, et le décalage des réponses était finalement un meilleur indicateur que le test en lui même. La WPPSI-IV est une épreuve d’évaluation du fonctionnement cognitif des jeunes enfants, standardisée et cadrée dans le temps, déclinée en 2 versions, la première pour les enfants de 2 ans et demi à moins de 4 ans, et la seconde pour les enfants de 4 ans à 7 ans et 7 mois. Cinq dimensions sont évaluées : l’intelligence fluide, l’intelligence cristallisée, la mémoire de travail, la vitesse de traitement et l’aptitude à percevoir et à transformer des stimuli visuels – en gros raisonnement non verbal / compréhension verbale / mémoire de travail / vitesse de traitement / gestion du visiospatial.
Il faut tout de suite dire que l’adaptation française de la WPPSI-IV n’est pas une simple traduction, mais bien une transposition de la version américaine, tenant compte des adaptations culturelles nécessaires, notamment pour la partie verbale de l’échelle. Elle a d’ailleurs nécessité une phase spécifique d’étalonnage qui date de 2013 sur un échantillon de 1 005 enfants d’âges concernés, apparemment représentatif de la population française car basée sur la stratification de l’INSEE.
Beaucoup de choses à dire sur ce paragraphe, mais déjà : OUI, il s’agit d’une évaluation culturelle et vraiment très scolaire. Évidemment que les enfants, baignant non seulement dans un univers occidentalisé mais également ayant accès à des jeux et autres outils culturels faisant écho au test, sont avantagés. Il faut avoir l’habitude de manipuler des images, des cubes, des puzzles, de connaitre le monde, les océans, les jours de la semaine, de savoir tenir un stylo, et surtout de parler français !

Ensuite, la question de l’échantillonnage et de ce qui est représentatif ou non est vraiment centrale sur le sujet haut potentiel, et évidemment ces études et ces personnes enfants ou adultes n’échappent pas aux biais, stéréotypes et préjugés de notre société. Dans son livre « Les surdoués ordinaires », Nicolas Gauvrit écrit ainsi que : « Nous nourrissons souvent des théories bien tranchées sur les enfants (et les adultes) surdoués. On les méprise, on les encense, on est inquiet ou admiratif. Ils ont un gros cerveau, ils sont sensibles, ils ont de l’humour, ils échouent à l’école, ils décrochent souvent le prix Nobel, ils font des cauchemars, ils sont naïfs, ils ont un sens aigu de la justice. Toutes ces images sont-elles justes, ou bien sont-elles seulement le reflet de nos fantasmes et stéréotypes ? »
Et je peux vous dire que les résultats sont plus qu’incertains, avec un nombre de travaux encore très faibles, des études menées sur des échantillons très réduits ou des analyses fondées sur des cas cliniques. Clairement, se baser uniquement sur l’expérience en consultations, donc uniquement sur des personnes qui consultent, pour généraliser des traits de caractères à tout un groupe, c’est problématique, c’est essentialisant !
Bien que cela donne déjà du discrédit à de nombreuses études, j’aurais aimé que Nicolas Gauvrit aille plus loin sur la question de la culture en tenant compte d’aspects sociologiques, notamment du racisme (j’en demande surement trop) mais aussi de la classe sociale. Il indique bien que les résultats des études sur le HPI et les tests de QI ne sont valables que dans des sociétés où l’éducation est égalitaire… comme la France. Mais est-ce vraiment le cas ? et la question est rhétorique d’un point de vue systémique, pas la peine d’essayer de me convaincre que c’est le cas.
De semi aveux de quelques professionnel·les, intervenant en REP (réseaux d’éducation prioritaire), la priorité ce sont les élèves qui ont des besoins spécifiques dans l’autre sens (niveau à rattraper et non à pousser pour aller plus loin). Iels n’ont jamais repéré d’enfants à haut potentiel (iels n’ont jamais été formé·es non plus), alors que l’Éducation Nationale écrit bien que « la précocité intellectuelle concerne 2 à 5 % des élèves quels que soient le milieu social et l’environnement familial. »
Je pourrais aussi parler du fait que Bout’Chou est jugé comme un enfant asiatiqueté, forcément bon scolairement et donc avec des attentes des professeurs, conscientes et/ou inconscientes, différentes de ses autres camarades racisés, ou du jugement que je subis aussi en tant que mère racisée colérique, haineuse et aggressive, la tiger mom de l’excellence, la femme dragon qui laisse s’abattre son courroux ! Mais franchement, je suis trop fatiguée…

Un chiffre qui ne veut rien dire
Il est communément admis, car défini par l’OMS, qu’un QI de 130 est le principal critère pour être identifié comme HPI. Il faut bien une base commune, certes, mais comme vous commencez à le comprendre, hors analyse contextuelle, sociologique, environnementale, ce chiffre ne veut rien dire.
Lorsqu’on décide de passer le cap d’un bilan psychologique, c’est qu’il y a un besoin de comprendre un sentiment de décalage ou de mal-être, de gérer des difficultés, de répondre à des questions. Cela peut se faire sans le test, non seulement parce qu’il a un coût certain pour des résultats pas forcément clairs au regard de tout ce qu’on s’est dit, mais aussi parce que le plus gros intérêt du bilan, c’est l’analyse qualitative de son propre fonctionnement et l’accompagnement et/ou les adaptations qui peuvent être proposées *tout en tenant compte des biais des praticien•nes*. L’intelligence est quelque chose de fluide, bien plus complexe que la simple mesure de connaissances et compétences scolaires ou scientifiques.
Ce fonctionnement intellectuel particulier entre dans le spectre de la neuroatypie qui couvre comme tout spectre de nombreuses manières de « penser et fonctionner différemment ». A titre d’exemple, affirmer sur un ton péremptoire que les personnes avec un HPI sont trop intelligentes pour être heureuses en se basant uniquement sur les cas cliniques rencontrés vient à renforcer un préjugé sans tenir compte de toutes les personnes qui ne consultent pas pour cela et qui peuvent être très heureuses ! Avoir un fonctionnement à haut potentiel ne fait pas des génies en tout ou ne rend pas malheureux par définition, car cela ne fait pas moins des êtres humains dans toute leur complexité et toute leur individualité. Le système construit par et pour les neurotypiques néanmoins… c’est encore une autre histoire !
Bref, tout ça pour tout de même devoir se battre contre le manque de moyens et de formation non seulement des professeurs d’école mais aussi des psychologues scolaires de l’Éducation Nationale, et je ne veux même pas parler d’égo et de soi-disant atteinte à la liberté pédagogique de l’enseignant… Deux inspecteurices mobilisé·es, des heures en réunion éducative, des adaptations arrachées à l’usure… Heureusement que pour une fois, on a la loi de notre côté, parce que sinon, je ne sais pas ce qu’on aurait fait !
Pour aller plus loin
- Anthropologie raciale et savoirs biologiques (Carole Reynaud-Paligot, 2020)
- Paul Broca (1842-1882) : emblème de la raciologie « républicaine » (Programme Nous autres, Fondation Lilian Thuram)
- Alphonse Bertillon et l’identification des personnes (1880-1914) (Pierre Piazza, 2026)
- Sir Francis Galton : le fondateur de l’eugénisme (Dominique Aubert-Marson, 2009)
- Les fondements scientifiques des inégalités ethniques (Arthur R. Jensen, 1975)
- Alfred Binet et la psychologie de l’intelligence (Michel Huteau, 2006)
- Les surdoués ordinaires, (Nicolas Gauvrit, 2014)
- Le guide HPI du compte instagram @lapsysosocio
- Ressources pour la personnalisation des parcours des élèves à haut potentiel, Éducation Nationale
Tout commentaire du type #notall… professeurs des écoles, psychologues scolaires, psychologues tout court ne sera pas pris en compte. Idem pour les commentaires disant que tout cela est du passé !
Encore un superbe article avec plein de réflexions qui amènent à des questionnements intéressants.
A quant la science decolonisée voire même déconstruite ?! Des sites internet, des podcasts, des blogs… commencent à s’emparer du sujet mais quel vaste travail tellement le champ des sciences l’est également : médecine, biologie,… et même physique ! ( j’ai lu un article très intéressant au sujet de la lumière et des couleurs qui abordait les biais racistes dans la construction de notre perception des couleurs).
A quand l’inclusion à l’école ? Des chiffres édifiants sont sortis pourtant, des statistiques réalisées par des organismes étatiques ! Tout indique que l’école d’aujourd’hui est celle de l’exclusion, du maintien voire du renforcement des inégalités,… un miroir de notre société… L’école, oui vaste sujet. A l’heure où elle est obligatoire dès 3 ans, qu’une dérogation est maintenant nécessaire à l’instruction en famille, cette école ne peut pas garantir aux parents que leur•e•s enfants soient considéré•e•s comme des êtres à part entière avec leurs besoins et caractères propres ! Tout ce qui est fait dans le sens de l’inclusion est arraché à force de luttes par des parents qui ne peuvent compter que sur leur énergie pour défendre l’humanité de leurs enfants.
Alors que tout•e enfant bénéficierait des adaptations nécessaires à ne serait-ce qu’un•e enfant ! Mais le système capitaliste fonde notre société et est profondément inséré dans nos institutions, eh oui même l’Éducation Nationale ! Donc peu de moyen au départ car il ne faudrait pas investir dans ce qui ne rapporte pas ou dans trop longtemps… des enfants.
Alors chaque personne qui se bat pour ses enfants à l’école est une personne qui se bat pour tou•te•s les autres, pour tous les parents qui ne le peuvent pas, pour leur humanité. Merci !
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Je tarde à répondre, je n’avais pas vu le commentaire. Merci pour ces retours. L’Education Nationale n’échappe pas au système et tous les jours elle nous le prouve…
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Je suis partie dans un bras de fer avec l’école de ma fille, donc je comprends tout à fait cette fatigue et ce ras le bol… 🤬 Et d’ailleurs j’ai fort pensé à toi parce qu’il y a aussi un bon level en étiquetages dans mon histoire! (Je pense que je vais te raconter ça en MP, j’aurais besoin d’aide pour des ressources pertinentes sur la question.)
En tout cas bon courage, j’espère que vos combats finiront par payer !💪
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Cela commence à avancer, mais au forceps !! Je ne sais pas si j’aurai des réponses mais n’hésite pas à venir en MP. Force à toi !
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