Quand tu as une famille handicapée des sentiments

Nous passons actuellement les vacances avec mes tantes, les sœurs de ma mère ; ma mère qui est décédée au tout début de l’année d’un cancer contre lequel elle aura lutté pendant un peu plus de 3 ans. Elle aura rencontré son petit fils et l’aura aimé comme jamais elle n’a aimé personne je crois. Elle aura peut-être compris ce qui m’avait lié à ma grand-mère à l’époque.

Cacher pour protéger ou exclure pour se protéger ?

Hier soir, mes tantes parlent de ma mère petite, cette boudeuse qui savait ce qu’elle voulait, avec sa fossette, son petit caractère déjà bien trempé, ses sourcils qui se fronçaient à la moindre contrariété, lui donnant ce regard dur qui m’a tant de fois glacé le sang. Je tiens ça d’elle et mon fils aussi.

Et là mon oncle met les pieds dans le plat, ce qui semble les travailler depuis quelques jours que nous sommes là : « Ta mère ne nous a jamais dit pour sa maladie, elle disait que c’était les allergies« . Et ma tante d’enchaîner : « C’était une femme vraiment forte, je l’admire, elle a tout fait pour ne pas nous inquiéter« .

Bien sûr qu’elle était forte, c’est elle qui m’a tout appris en matière d’indépendance. Mais dans ce cas précis, elle nous a tou.te.s exclu.e.s, et je suis sûrement égoïste mais moi la première. Elle nous a dit dit qu’elle était malade uniquement lorsqu’elle ne pouvait plus le cacher, sans pour autant jamais nous dire l’état réel de la maladie.

Je ne dis pas que c’est facile d’en parler ou de partager. Elle a toujours eu son compagnon pour se confier et je ne l’en remercierai jamais assez. Mais je connais ma mère et quand il s’agissait des « mauvaises choses de la vie », elle occultait totalement et embellissait tout. C’est une façon de vivre contre laquelle je n’ai jamais rien pu faire. D’ailleurs quand ma mère avait décidé quelque chose, tu pouvais faire ce que tu voulais, rien ne la faisait changer d’avis.

Bref, j’ai craqué devant mes tantes. Ma mère me manque et depuis la crémation, je crois bien que personne ne l’a pleurée avec moi…

Aller dormir avec un tape dans le dos

Et là c’est la panique. Mon oncle quitte la table sans rien dire. Mes tantes me sortent des banalités « ça va aller » ; « c’est le destin » ; « ça ne sert à rien [de pleurer] » ; « toi aussi tu es forte« …

Ma première tante vient me tapoter le dos puis retourne à la vaisselle. La seconde continue les banalités les plus totales pour me dire de me calmer et m’accompagne à ma chambre pour que je dorme parce que je suis fatiguée. Une accolade et à demain.

C’est comme ça quand tu grandis dans une famille d’handicapé.e.s des sentiments. Bien sûr que ce n’est pas leur faute. Personne ne leur a appris. Mes grands-parents ont dû survivre à leur manière. Mon grand-père ne semble pas avoir été un papa ni un mari très attentionné. Il est mort jeune. Ma grand-mère a élevé les 7 enfants et tenu le magasin pour faire vivre la famille. C’était une femme endurcie par la vie.

Alors dans la famille, faire dans les sentiments ce n’est pas notre truc. J’irai même à dire que la bienveillance ce n’est pas notre truc. Bien sur qu’on s’aime et qu’on se le montre autrement. Ma mère s’est battue bec et ongles pour moi, elle m’a tout donné. Mais dire « je t’aime » ou « je suis fière de toi » c’était inutile. Les défauts, les reproches, ça par contre on sait faire et dire. Le reste c’est pour les faibles, ce n’est pas ce qui fait avancer.

Mais moi, je voulais juste…

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Photo by Dawid Zawila

Avoir le droit de pleurer ma mère

Elle me manque. Je sais qu’elle leur manque.

Je n’ai pas encore vidé sa maison. Je n’y arrive pas. On a commencé mais là on arrive aux choses très personnelles qu’il faut trier et c’est pour ma gueule en tant que fille unique… « Comment ça ce n’est pas fait ? » me demande une de mes tantes. Euh… Je ne t’ai pas vue dans la maison ni proposer tes services…

Parce que oui dans tout ça, personne d’autre n’a géré quoique ce soit. Parce que « protéger les gens pour ne pas les inquiéter » ça donne aussi des gens qui ne sont pas au courant quand la fin arrive. C’est moi qui ai dû prévenir la famille et les proches que ma mère allait mourir ou qu’elle venait de mourir d’un cancer. C’est moi qui ai dû faire face à leur déni et les accompagner vers le deuil.

J’ai dû gérer ses frères et sœurs qui me disaient tout ce qu’il fallait faire pour la soigner alors qu’elle rentrait en soins palliatifs. « Il faut lui faire comprendre qu’il faut qu’elle mange pour reprendre des forces et elle pourra reprendre une chimio pour guérir« . Mais qu’est-ce que tu racontes ? Les gens sont tellement égoïstes à ce moment là… Je voulais juste qu’elle arrête de souffrir…

J’ai géré la crémation et toutes ces personnes qui n’étaient pas satisfaites de la date et de l’heure de la cérémonie. Pendant que certain.e.s me disaient : « elle n’est pas morte, elle dort » ; « mardi matin c’est pas pratique pour le fleuriste et chez les chinois on ne peut pas garder des fleurs coupées pour un décès sous son toit » ; « comment ça dans 10 jours ? Mais chez nous c’est sous 2/3 jours, le corps va pourrir ! » ; « on peut pas venir parce que tu comprends bla bla bla« …

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1989

Bref, hier soir, un simple câlin en pleurant avec moi aurait été le bienvenu.

Alors j’ai pleuré avec mon fils en lui parlant de sa grand-mère et en lui disant que j’accueillerai toujours tous ses sentiments, qu’il est libre d’être heureux, triste, en colère,… Il me faisait des bisous et des caresses, ce magnifique petit empathique qu’il est. Je l’aime et je lui dis tous les jours.


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3 commentaires sur “Quand tu as une famille handicapée des sentiments

  1. Du côté de ma mère c’est un peu pareil, ils ont grandi dans un milieu rude et ne savent pas parler de leurs sentiments… et ma mère a aussi tendance à minimiser ses problèmes de santé (et du coup comme elle en parle plus depuis quelques temps, je suis en mode panique totale, « et si c’était encore plus grave qu’elle ne le dit »). Du côté de mon père un peu mieux pour les filles, mais pas vraiment pour les garçons (la belle époque des « les hommes ne pleurent pas / les femmes sont émotives »).
    Du coup moi aussi j’inonde mes fils de « je t’aime », tous les jours, et j’essaie de leur expliquer le bénéfice de se confier quand quelque chose ne va pas… L’avenir dira si j’y arrive ou pas.

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    1. Je crois sincèrement que cela s’apprend. La belle époque des hommes qui ne pleurent pas et des femmes émotive est loin d’être finie, même si petit à petit, les choses avancent 😉

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